jeudi 24 janvier 2008

Seul contre tous

L'éditeur "Studiocanal" a eu l'intelligence de proposer le dvd accompagné du court métrage "Carne" qui met en scène tous ce qui résumé au début du long: un boucher orphelin (Philippe Nahon, brillant) élève seul sa fille autiste. Il la croit violée par un ouvrier et s'empresse de se rendre sur le chantier où il défigure un innocent. Pour abaisser sa peine de prison, il vend boucherie et appartement. Commence alors sa descente aux enfers. Sa fille est placée dans une institution. A la sortie de prison, il trouve un job de "technicien de surface" chez une patronne de bistro, qui devient sa maîtresse et tombe enceinte. Il est lui est interdit de voir sa fille; on le soupçonne de relations incestueuse. Il part refaire sa vie avec la patronne en dehors de Paris. Fin

Le film démarre là ou le court s'arrête. Les promesses de sa maîtresse (lui offrir le bail d'une boucherie) se font attendre. Ils vivent chez sa belle-mère et notre homme supporte de moins en moins sa nouvelle famille. Lors d'une dispute violente, il plaque tout et revient à Paris pour refaire sa vie. Chaque essai se solde par un échec. Résolu d'en finir, il récupère sa fille et décide de la tuer, puis de se suicider. Il renonce au dernier moment et se rend coupable de l'inceste contre lequel il lutte de puis des années. Le film se referme sur un homme heureux, revenu à la vie dans les bras de sa fille qui n'est plus pour lui qu'une femme qu'il aime.

Gaspar Noé apporte une profonde réflexion d'un individu face aux lois et à la morale qui lui sont imposés; le boucher tente de s'intégrer dans la société mais la voix off de Nahon révèle la vérité: il est asocial et a une profonde haine envers les autres qui ne demande qu'à faire surface. Des messages s'adressant directement au spectateur ponctuent le film ("Etes-vous à l'abris d'un dérapage?", "Vous pouvez tout perdre en une seconde", ...), lui rappelant que l'animal qu'ils voient évoluer dans cette fiction n'est qu'un reflet de n'importe quel être humain.
Le boucher est poussé à bout et en veut au monde entier. Des pulsions violentes lui traversent l'esprit: homicide, torture, sévice sexuel, infanticide (concrétisé lors du passage à tabac de sa maîtresse enceinte), inceste, xénophobie, tendance suicidaire, paranoïa profonde, ... Durant l'entièreté du film, on se croit dans une oeuvre d'anticipation, tant l'atmosphère est étouffante et rappelle une dictature d'extrême droite; nous ne sommes pourtant qu'en France, de nos jours.
L'homme ne trouve son salut et sa sortie des enfers que dans un acte considéré comme l'un des plus grave dans notre société: l'inceste. Il décidé d'aimer sa fille comme une femme et envoie ainsi balader une société qui lui impose son point de vue.

On peut discuter longtemps du pour et du contre du message, mais ce film ne laisse pas indifférent et remet en question l'idée même de la société: vivons-nous en société ou n'est-ce qu'une apparence? Chacun vit-il pour soi et n'entretient-il des contacts humains que par intérêt, peur d'être jugé ou peur de laisser éclater sa vraie nature? Qu'adviendra-t-il de nos amis, de nos familles, si nous avons le toupet de déraper à un moment? Y aura-t-il une main secourable ou nous laissera-t-on crever dans le caniveau?

Noé pose un film de société dérangeant mais à mon sens brillant et indispensable. Philippe Nahon, qui vit son personnage, donne à la vision de Noé une vérité crue que l'on avait plus vue depuis longtemps dans le petit monde du septième art.

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